dimanche 5 mars 2017

Le septième Château du Diable (1945) -3

Suite et fin de ce récit pour enfants.


  Ce n'était qu'un rêve !





Le septième château du diable   (exemplaire de la Bibliothèque nationale de France.) - Cl. de l'A. 

Commentaires


L'édition
      Peu d'informations sur l'éditeur J. et R. Sennac qui semble être d'abord une imprimerie située au 54, rue du Faubourg Montmartre (Paris 9e), travaillant essentiellement dans le domaine scientifique et technique (chimie, énergie, géologie, hydraulique, médecine), entre 1943 et 1968, imprimant aussi pour le CNRS ou Gauthier-Villars, si l'on en juge par les 492 titres moissonnés dans  le catalogue général de la Bibliothèque nationale.

     La collection "Publi-Paris" est tout aussi peu renseignée avec seulement trois titres recensés qui ont en commun la mention de l'Imprimerie de Sceaux mais sans que l'on sache si J. et R. Sennac sont les éditeurs des trois ouvrages :

-  Jean Routier. Le Septième château du diable. Texte et dessins de Jean Routier. Paris, J. et R. Sennac ; (Sceaux, Impr. de Sceaux), 1945. In-8° (220 x 210), [15 p.] n. p., fig., couv. ill. 15 fr.
- Alice Routier. Le Lézard d'or. Texte et dessins d'Alice Routier. Sceaux :  Impr. de Sceaux, 1945. In-8° (220 x 210), [15 p.] n. p., fig., couv. ill. 15 fr.
 - Jean des Brosses. La vengeance des Serivano. Couverture et dessins de J. Renusson. Sceaux :  Impr. de Sceaux, 1945. In-16 (180 x 135), 64 p., fig., couv. en coul. 20 fr. 

     Collection avortée ? Il est intéressant de relever dans cette courte liste le nom d'Alice Routier (1913-2010), fille unique de Jean, qui a donc publié une brochure identique à celle de son père mais que je n'ai pu encore consulter. 
     Le prix de la brochure est de 15 francs, soit 1,88 € en utilisant le calcul du pouvoir d'achat du franc en euro 2016 par l'INSEE. Autre évaluation, celle du tarif de la lettre simple (2 francs en 1945) soit l'équivalent de 7,5 affranchissements, ce qui représenterait aujourd'hui 5,45 €.

 L'histoire
     L'intrigue est simple : un petit garçon, impressionné par l'image d'un diable bien humain vue dans un livre, rêve qu'il est enlevé par ce personnage et transporté, avec son chien Bouboule, dans un château où tous ses désirs sont satisfaits ; des salles sont remplies de jouets, il dispose d'une salle de cinéma, peut se promener à cheval, conduire un petit train, manger des "merveilles patissières". Mais à la suite d'une désobéissance - l'utilisation d'une clé d'or, interdite -, il est frappé par l'ENNUI. Il en vient à regretter son cadre quotidien, ses jouets cassés et ...ses parents.  Pénétrant à nouveau dans la chambre interdite, il déclenche une catastrophe : il est jugé par des collaborateurs du diable et condamné, s'il veut rentrer chez lui, à abandonner Bouboule, ce qu'il refuse avec énergie.  Mais tout se résout car, alors que le château s'écroule, il se réveille en constatant qu'il a fait un cauchemar.

     L'image du diable ordinaire fait penser au film de Marcel Carné Les visiteurs du soir (1942) avec son château tiré des Très Riches Heures du duc de Berry. Quant au déroulé et au dénouement (un rêve qui permet tous les voyages et tous les jeux ; le réveil d'une sieste due à "une digestion laborieuse"), il évoque Little Nemo, bande dessinée créée par l'auteur américain Winsor McCay en 1905, et ses indigestions. Mais Antoine Sausverd nous rappelle fort opportunément, sur son site Topfferiana, que "L’onirique était un thème récurrent dans les histoires en images du XIXe siècle", et que Job avait été précurseur en fournissant à la Maison Quantin, en 1886, une planche intitulée « Un rêve agité » qui aurait pu influencer Winsor McCay [1]. Les sources d'inspiration ont donc pu être multiples.

     Mais d'où vient le titre ?  Du théâtre ? Est-il inspiré du spectacle "Les sept châteaux du diable", une féérie en 3 actes et 18 tableaux d'Adolphe Dennery et Charles Clairville [2], jouée en 1844 et reprise en 1876 ? Dans cette pièce, Satan s'intéresse à Pornic et à deux jeunes filles de pêcheur qui avaient fait vœu, si leur père rentrait sain et sauf d'une tempête, de faire un pèlerinage ; Satan décide alors de leur faire traverser les sept châteaux du diable dont il a confié la garde aux sept péchés capitaux, afin de tenter de les perdre. Bien évidemment, il n'y parvient pas. Cet ensemble de tableaux mettant en scène l'Envie, l'Orgueil, l'Avarice, la Paresse, etc. connut un très grand succès, notamment lors de sa reprise de 1876 à 1878 au Châtelet, avec environ 450 représentations dont des matinées pour les enfants. Une autre reprise est signalée, entre décembre 1895 et avril 1896 [3]. Enfin, un film muet - féérie en 40 tableaux - en fut tiré en 1901, réalisé par Ferdinand Zecca et produit par Pathé, actuellement en ligne [4].

     Dans le récit, l'image de diable qui avait impressionné Jean-Luc était tirée d'un livre "relié, avec des gravures", dont "le titre s'offre en grosses lettres noires : L'Homme qui a vendu son âme au diable". Un tel ouvrage existe, sous un titre un peu différent et, à ma connaissance sans gravures. Un roman de Pierre-Gilles Veber (1869-1942), L'homme qui vendit son âme au diable, parut en 1918 dans La Revue de Paris, puis chez Calmann-Lévy en 1919 [5]. Il en fut tiré un film muet de Pierre Caron (1921) avec Charles Dullin, une opérette en 4 actes jouée à la Gaîté lyrique (1929), et enfin un film de Jean-Paul Paulin en 1943.

Le château
     La couverture représente le "château magnifique", "au centre d'un sombre parc à la française".

Le septième château du diable. Détail de la page de couverture (coll. part.) - Cl. de l'A.

      Les castellologues consultés n'ont pas encore identifié le modèle utilisé pour ce dessin. Selon eux, l'agencement des volumes semble bien s'appuyer sur un château existant. Les tours à mâchicoulis plus hautes que les courtines, elles-mêmes pourvues de hourdage, sont caractéristiques du XIVe siècle, tandis que le corps de logis, avec ses larges baies, son enfilade de lucarnes, ses cheminées massives orienteraient vers le XVIIe ou le début du XVIIIe siècle. A l'extrême droite, le mur pignon surmonté d'un double-bulbe pourrait orienter la recherche.  

Bouboule et autres détails
     Ce petit récit contient des détails matériels intéressants sur l'époque de la fin de la guerre, que ce soit une liste de jouets, par exemple les "carabines Euréka", marque célèbre de jouets, active entre 1890 et 1972, qui fabriquait notamment des voitures à pédales dans son usine de l'Eure [6], ou la liste des gâteaux. On notera aussi l'autorail représenté en pleine page - dont les spécialistes nous diront le type - et l'appellation de Wattman  qui est le nom donné au conducteur d'un tramway [7].

     Un mot sur le chien : Bouboule [8], un bouledogue ; Jean Routier avait déjà utilisé ce nom dans le défet mystérieux de Noël 1925, "Riri et Bouboule" (cf. billet du 24 décembre 2015). En attendant une galerie des chiens de Jean Routier, voici quelques images de Bouboule scannées sur un meilleur exemplaire de la brochure et deux dessins tirés d'un carnet de croquis (vers 1929) de Jean Routier récemment consulté.





                                 Le septième château du diable. Détails  (coll. part.) - Cl. de l'A.                                                                                                                                             




Jean Routier - Carnet de croquis (coll. A.Z.) - Cl. de l'A.




Notes

[1] http://www.topfferiana.fr/2008/11/le-petit-lucien-au-pays-des-reves/
Voir aussi http://www.topfferiana.fr/2015/01/ninette-patapon-un-little-nemo-a-la-francaise/
On peut enfin consulter l'article rêve rédigé par Thierry Groensteen dans le dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, en septembre 2013 (http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article616)
[2] Texte consultable en ligne : https://archive.org/details/lesseptchteauxdu00denn
[3] Jean Routier, né en mars 1884, aurait donc pu y assister.
[4] https://www.youtube.com/watch?v=739Q9kHNXUo - Voir le détail des tableaux sur http://grimh.org (groupe de réflexion sur l'image dans le monde hispanique). Le film a été projeté au Salon des Abonnés du Figaro, le 7 janvier 1904 (Le Figaro, 7 janvier 1904).
[5] Treizième édition en 1924. Plusieurs comptes rendus donnent à cet ouvrage le titre L'Homme qui a vendu son âme au diable, par ex. Les Potins de Paris du 31 juillet 1919, La Rampe du 1er novembre 1925, Le Journal du 29 mars 1926.
[6] http://www.voitureapedales.com/category/fusils-carabines-pistolets-tirs-a-fleches-a-plombs-eureka/
[7] C'était d'abord le nom donné au premier tramway électrique français inauguré à Clermont-Ferrand en janvier 1890.
[8] "le père Bouboule", "le bon Bouboule", "son ami Bouboule", "le brave Bouboule".



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire