dimanche 18 juin 2017

Élections législatives (1932)


     Parmi les  383 couvertures du Cri de Paris dues à Jean Routier, j'en ai sélectionné dix relatives aux élections législatives de 1932 qui eurent lieu les 1er et 8 mai, et une onzième en guise d'épilogue. Sous la IIIe République, la Chambre des députés est élue au suffrage universel masculin direct pour quatre ans.

1- L'année des élections


Chez la voyante : - En 1932, je ne vois ni désarmement..., ni moratoire... ni chômage. Je vois les élections.
 Le cri de Paris n° 1814 - dimanche 3 janvier 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)


      Le dessin : Pierre Laval, président du Conseil depuis janvier 1931 (deux ministères successifs), vient consulter une voyante, en fait Georges Mandel, reconnaissable à son visage "en lame de couteau", à ses cheveux plaqués, à son nez, mais aussi à ses gants gris ou à la présence d'une chaufferette. Ce fidèle de Clemenceau (notez le portrait accroché au mur), isolé dans le milieu politique, victime d'un certain ostracisme, avait une réputation de Machiavel [1]. La légende du dessin évoque les sujets d'actualité : la Conférence du désarmement préparée depuis 1926 par la Société des Nations ; le moratoire Hoover qui avait suspendu pour un an, en juin 1931, le paiement des réparations de guerre que l'Allemagne disait être incapable de payer ; les tarifs douaniers qui ne suffisaient pas à limiter les importations ; le chômage, effet de la crise économique de 1929. Contre toute attente (du lecteur), ce n'est pas un de ces quatre thèmes qui marquerait l'année 1932, mais celui des élections législatives. Surtout pour Mandel qui se battait pour une réforme du mode de scrutin (voir ci-dessous).
La précédente Chambre des députés, élue en avril 1928, se composait ainsi : Droite (144 sièges), Centre (165), Gauche (271), donc une majorité gouvernementale de droite et du centre. Pendant cette période de 4 ans, 10 gouvernements se sont succédé.

2- Les partis se préparent


La conférence du désarmement : - Oui, le désarmement partout... mais pas ici !
Le cri de Paris n° 1816 - dimanche 17 janvier 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     La scène se passe à la Chambre des députés, dans la salle des pas perdus du Palais Bourbon, identifiable grâce à l'esquisse de la sculpture du Laocoon [2]. Au premier plan, un groupe de députés : de gauche à droite, Édouard Herriot (radical-socialiste), Léon Blum (SFIO), Édouard Daladier (radical-socialiste), Pierre Renaudel (SFIO), François Albert (radical-socialiste). La légende fait allusion au désarmement, c'est-à-dire à la Conférence pour la réduction et la limitation des armements (dite Conférence du désarmement) dont l'ouverture est prévue à Genève le 2 février 1932. Herriot était pour la paix, mais "non dans les nuages". Mais, l'objectif, à l'intérieur, est de résister aux sirènes de la droite. En effet, en janvier 1932, suite au décès de Maginot, ministre de la guerre, et à l'éviction d'Aristide Briand, ministre des affaires étrangères, Pierre Laval veut remanier son gouvernement et tenter de réaliser une union nationale. Il en fait la proposition à Herriot mais le parti radical décline l'offre :  "tout en  constatant la nécessité de l'union pour faire face à une situation grave, les radicaux socialistes ne pouvaient entrer dans un cabinet dont la majorité les combat dans le pays" [3]. Laval se contente alors d'un remaniement. Lors de la présentation du nouveau gouvernement Laval, le 22 janvier, le petit groupe représenté ci-dessus vote contre la question de confiance. Les radicaux préfigurent-ils ainsi une réédition du Cartel des gauches en vue des élections prochaines ?

3- Quel mode de scrutin ?


La suppression du second tour : - Et on veut nous ôter le plaisir de lire ça sur les murs !...
Le cri de Paris n° 1819 - dimanche 7 février 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Le mode de scrutin a varié au cours de la IIIe République. En 1919 et 1924, c'était un scrutin de liste à un tour. En 1927 fut rétabli le scrutin majoritaire uninominal à deux tours qui prévalait avant guerre [4]. Ce sera aussi le cas en 1932, suite à l'échec d'une réforme électorale. Pour améliorer le fonctionnement des institutions, plusieurs hommes de droite souhaitent une restructuration des forces politiques et la constitution d'un grand parti conservateur libéral allant jusqu'aux radicaux. Un scrutin uninominal à un tour - à l'anglaise - favoriserait un regroupement des partis. Georges Mandel, est, à la Chambre, l'artisan de cette réforme qui provoque des débats acharnés.
Le projet de réforme électorale est adoptée par la Chambre des députés le 12 février par 290 voix contre 1, la gauche ayant abandonné le combat en quittant l'hémicycle. Ce projet implique le vote obligatoire et l'élection au premier tour à la majorité relative. En outre, un amendement d'Anatole de Monzie dispose que les femmes sont électrices et éligibles aux élections de la Chambre des députés [5].
Le dessin de Jean Routier, publié le 7 février, donc avant l'adoption du projet, brocarde la pratique électorale qui conduit les candidats à des postures acrobatiques entre les deux tours. Les propos de Georges Mandel dans L’Écho de Paris, au lendemain de son combat victorieux, sont encore plus explicites sur les inconvénients d'un deuxième tour et les positions contradictoires des élus pour satisfaire successivement tous leurs électeurs (cf. Annexe 1) [6].
Mais le Sénat enterre la réforme le 26 février. Mandel tente bien de reprendre le texte à la Chambre, mais, peu soutenu par Tardieu et en butte à l'hostilité de toute la gauche, il échoue.

4- Faire les élections ?


Le respect du suffrage universel : - Il nous faut l'Intérieur pour FAIRE les élections.
 Le cri de Paris n° 1822 - dimanche 28 février 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     La scène se passe encore dans la salle des pas perdus. L'Intérieur dont discute ce groupe de députés est bien sûr le ministère de l'Intérieur, objet de convoitises en période pré-électorale.
Le troisième gouvernement Laval, constitué le 14 janvier, est renversé par le Sénat le 16 février. Paul Painlevé, républicain socialiste, est chargé par le président Paul Doumer de constituer un gouvernement de conciliation incluant les radicaux. Il achoppe sur l'attribution du ministère de l'Intérieur qu'il décide de se réserver alors que la droite - parce qu'elle a la majorité - l'exige pour elle (19 février) et sur la place de Pierre Laval dans le dispositif (il voulait les Affaires étrangères, mais Painlevé avait déjà promis ce portefeuille à Joseph Paul-Boncour). Finalement, c'est André Tardieu qui constitue le nouveau gouvernement (20 février), l'Intérieur étant attribué au sénateur Albert Mahieu (Union démocratique et radicale, c'est-à-dire centre-droit) qui "rassure à la fois les partis de gouvernement de droite et de gauche" [7].

5- Fin de législature


Enfin ! L'unité nationale !! : -Bonne chance, à la prochaine !...
Le cri de Paris n° 1828 - dimanche 10 avril 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     La Chambre se sépare le vendredi 1er avril. La veille, le président du Conseil avait fixé les élections le 1er et le 8 mai. 
Dans son intervention consensuelle de remerciements à la Chambre, André Tardieu s'exprimait ainsi : "J'espère que, encore une fois, je retrouverai l'unanimité en disant que nous espérons tous nous retrouver tous ensemble le 1er juin" [8]. Routier représente cette "grande famille parlementaire" au moment de la séparation. Au premier plan, de gauche à droite : Louis Marin (Union républicaine démocratique = droite conservatrice) , Édouard Herriot (Radical-Socialiste), Georges Mandel (Indépendant républicain), Léon Blum (SFIO). Au second plan, on croit reconnaître Pierre Renaudel (SFIO), Paul Painlevé (républicain socialiste), Pierre Cot (radical). Ils seront réélus. La campagne de 1932 se déroulera sur un "schéma bipolaire" [9] : radicaux et SFIO d'un côté, droite de l'autre sous la direction d'André Tardieu.

6- La campagne


L'opposition n'en revient pas  : - Ce président est très méchant, quand on l'attaque il se défend.
 Le cri de Paris n° 1829 - dimanche 17 avril 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Le dessin représente André Tardieu, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères depuis le 20 février 1932. Muni de son éternel fume-cigarette - comme Herriot l'est de sa pipe -, il  est debout devant une table mise et surtout devant un micro qui occupe le premier plan. Cette couverture évoque le grand discours, dit de la salle Bullier, prononcé le mercredi 6 avril, qui lance véritablement la campagne électorale. Le discours intervient à l'issue d'un banquet. La salle Bullier était une vaste salle de bal, transformée pour l'occasion en salle de banquet [10]. La presse donne les chiffres (2000 convives, 300 maîtres d'hôtel, 60 chefs), le menu (potage, truites importées d’Écosse, poulets, foie gras venu d'Alsace, glaces, fruits), et le texte du discours d'une durée de 1h 30 [11]. Il s'agissait de dresser  le bilan de quatre ans de législature et de répondre point par point aux critiques en pointant les responsabilités. Celle des radicaux d'abord qui avaient quitté le gouvernement Poincaré d'Union nationale en novembre 1928 au lendemain du Congrès d'Angers, rupture qui a "pesé pendant plus de 40 mois sur la législature". Mais surtout celle des socialistes, leur "internationalisme téméraire", leur hostilité à la loi sur l'outillage national, etc. Dans ses propos conclusifs, le chef de la majorité est très clair : appel aux radicaux, rejet des socialistes.
"J'ai toujours, comme M. Poincaré, comme M. Briand, comme M. Laval, proposé à tous les républicains non socialistes de participer au pouvoir. (...) Je ne crois pas, dans ce discours, avoir prononcé un seul mot offensant pour des hommes dont je n'arrive pas à concevoir comme durable l'accord avec les socialistes.  (...) je déclare que les virulentes attaques dont le parti socialiste a pris l'initiative contre cette majorité, sont injustes et contraires à la vérité."
Commentant cette campagne, René Rémond écrit : "Tardieu s'engage personnellement dans la campagne, qui prend l'allure d'un duel entre les deux leaders, Herriot et Tardieu : il s'adresse au pays par la radio, dont c'est la première utilisation à des fins électorales ; la gauche s'offusque de cette intervention qui lui semble être du bonapartisme pur." [12]
En effet, en mars 1928, Raymond Poincaré, président du Conseil, avait interdit aux radios de diffuser des discours politiques en période électorale. Toutefois, le gouvernement conservait le droit de diffuser des informations. Tardieu, Reynaud en usèrent. Une interview en anglais de Tardieu à destination des américains avait beaucoup frappé la presse par son caractère novateur (cf. Annexe 2). Herriot obtint une dérogation pour son discours du 12 avril. Le Populaire, organe du Parti socialiste, dénonça avec vigueur et constance le scandale et l'injustice de ce monopole gouvernemental [13].

     La légende brocarde l’attitude de l'opposition qui aurait dû s'attendre à la réaction de Tardieu, attaqué sur sa politique. Routier adapte un adage connu (Cet animal est très méchant, quand on l'attaque il se défend) à la situation politique [14].

7- Quelles alliances ?


 Un vrai mariage de raison  : - Vivent les mariés !!!...
 Le cri de Paris n° 1831 - dimanche 1er mai 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

   
     Ce dessin ne correspond qu'à un vœu, celui du Cri de Paris et de l'opinion modéré qu'il représente. De numéro en numéro, le thème de l'Union nationale revient comme un leitmotiv. Au lendemain de l'émeute du 6 février 1934, Le Cri de Paris rappelait ce dessin : "Au moment des élections, nous avons publié un dessin intitulé "un mariage de raison" : les mariés, c'étaient M. André Tardieu et M. Édouard Herriot, que la foule acclamait. Il leur a fallu deux ans pour accomplir le geste que nous n'avons cessé de réclamer. S'ils descendent dans leur conscience, ils doivent regretter amèrement de ne l'avoir pas fait plus tôt, de s'être attardés à rechercher de vieilles responsabilités au lieu de s'entendre sur les remèdes." [15]
     De par son positionnement sur l'échiquier politique et la composition sociale - hétérogène - de son électorat, le parti radical est susceptible de s'allier sur sa gauche comme sir sa droite. D'ailleurs, l'exercice du pouvoir dans la durée n'est guère envisageable sans eux. Pour les élections de 1932, en dépit des incitations venues de la droite comme de la gauche, les radicaux veulent aller seuls à la bataille. A l'appel de Tardieu lancé dans le discours de la salle Bullier, Herriot répond par une fin de non recevoir, notamment parce que les radicaux, lors de leur expérience d'union nationale, se sont heurtés à "l'attitude constamment haineuse et violente des droites" ; il mène donc la charge contre la majorité sortante. Aux socialistes qui, par la voix de Blum, posent des conditions à un gouvernement commun de gauche, il ne répond pas. Son objectif n'est pas de négocier un programme commun de gouvernement avec la SFIO, mais de "proposer une solution centriste fondée sur les idées radicales" (Berstein). Certes, il n'envisage pas de rompre la discipline républicaine électorale, mais son souci est de ne pas compromettre le liberté de son parti [16].

8- Les résultats


Après les élections : - Bien taillé, maintenant il faut recoudre.
 Le cri de Paris n° 1832 - dimanche 8 mai 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     On relèvera la multiplicité des formations et la "profusion des références à la gauche pour des groupes de droite" traduisant le glissement progressif de ces groupes de la gauche à la droite (René Rémond). Le résultat est relativement net : la gauche est majoritaire dans le pays ; un million de voix séparent les partis de droite (3, 880 millions) des partis de gauche (4, 895 millions). En nombre de sièges, la répartition est la suivante :
Gauche : 12 communistes ; 11 socialistes communistes ; 129 socialistes SFIO ; 37 républicains socialistes ; 157 radicaux socialistes.
Modérés :  62 radicaux indépendants ; 16 démocrates populaires ; 72 républicains de gauche.
Droite conservatrice : 28 indépendants ; 76 union républicaine démocratique ; 5 conservateurs.

     Le deuxième tour a été décisif car la discipline républicaine a joué en dépit de la position des partis. Le Parti communiste, partisan d'une stratégie "classe contre classe" qui a refusé tout désistement a perdu  la moitié de ses électeurs. Il y a eu un cartel électoral, car "la majorité des élus radicaux ont été désignés grâce au report sur leur nom des suffrages socialistes, si bien que la politique du radicalisme seul s'accompagne de l'existence d'une majorité de gauche à la Chambre. Cette contradiction va peser sur l'expérience radicale qui débute en 1932 et la conduire à l'échec." (Berstein). On utilise l'expression "néo-cartel" mais il n'y aura pas de programme commun de gouvernement. La direction du parti radical, échaudée par l'échec du Cartel des gauches de 1924, n'entend pas gouverner avec les socialistes d'autant que les conditions posés par ces derniers leur paraissent inacceptables. Mais se contenter du "soutien", n'est-ce pas renouveler l'expérience de 1924 ? La France est donc bien divisée sur la politique à suivre [17].

9- Quelle majorité gouvernementale ?

 


La France veut l'union : - Assez de disputes. Regardez ce qui se passe autour de vous !
Le cri de Paris n° 1833 - dimanche 15 mai 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Toujours ce thème de l'union. Le dessin souligne l'infantilisme de Herriot et Tardieu, admonestés par Marianne. Le traitement de l'arrière plan est intéressant qui évoque un environnement hostile : des nuages, une armée, Mussolini et Hitler alors que Léon Blum se jette dans les bras de l’ours soviétique au couteau entre les dents. On en revient au discours de Bullier. Alors que la formule du prochain gouvernement est encore indécise, le dessin veut montrer deux camps incompatibles : d'un coté des républicains que tout rapproche ; de l'autre un internationaliste téméraire suspect d'être anti-patriote.

     On ne doit pas s'étonner du long délai entre le deuxième tour des élections (8 mai) et la formation d'un nouveau gouvernement (3 juin). D'une part, cette période a été marquée par l'assassinat du président de la République, Paul-Doumer (le vendredi 6 mai, à la veille du second tour), l'élection de son successeur, Albert Lebrun, par le Congrès mais avec la Chambre des députés sortante (le 10 mai), des consultations à l’Élysée (24 mai), l'entrée en fonction de la nouvelle Chambre (1er juin). D'autre part, les chefs de partis ont attendu la réunion du congrès national des Socialistes (29 mai-2 juin) et les décisions qui y seraient prises. Les dessins de Gassier, proposés en Annexe 2, résument assez bien la situation. Le 2 juin, le Congrès rompt les pourparlers avec les radicaux. Le ministère Herriot sera à prédominance radicale ; le portefeuille des Finances sera attribué à Louis-Germain Martin, député de la Gauche radicale (= groupe centriste), pour rassurer les milieux d'affaires ; mais cela leur vaut l'hostilité des socialistes. Cette contradiction entre résultat des élections et vie parlementaire, source de renversement de majorité et d'instabilité gouvernementale, sera une des causes de l'antiparlementarisme. D'autres dessins de Routier fourniront un prétexte pour y revenir.

10- Quels élus ?


La rentrée : - N'oublie pas qu'on t'a envoyé ici pour t'occuper de l'intérêt général et non des intérêts particuliers.
 Le cri de Paris n° 1835 - dimanche 29 mai 1932 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     La rentrée parlementaire s'effectue le mercredi 1er juin 1932. La légende de ce dessin est suffisante en elle-même. On y ajoutera seulement, en écho, ces formules lapidaires de Georges Mandel, inlassable pourfendeur de la corruption :

 "Les vrais hommes d’État s'occupent du patrimoine de la nation et non de celui de leur famille".

" Il faudrait plaindre l'élu qui ne soupçonnerait pas les grands devoirs qui en résultent pour lui" [18].
 

11- En guise d'épilogue : 4 ans après


Avant les élections : - Bon débarras ! Mais pourvu que les nouveaux ne soient pas pires !!!
 Le cri de Paris n° 2033 - vendredi 13 mars 1936 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Quatre ans plus tard, c'est aux statues des grands commis de l’État encadrant le bas des gradins de la façade du Palais Bourbon que Jean Routier laisse le soin de conclure la législature 1932-1936. Maximilien de Sully, le réformateur, s'adresse à Michel de l'Hospital, le conciliateur, pour un souhait désabusé.


Notes

[1] Sur Georges Mandel (1885-1944), voir http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/4952
[2] Cette sculpture provenant du château de Marly a été installée au Palais Bourbon en 1798.
[3] Motion du parti radical-socialiste, citée dans Le Journal, 13 janvier 1932, p. 4.
[4] GROSSER (Alfred).- La politique en France. Paris : Armand Colin, 1964, p. 78-84 (Coll. U).
[5] Journal officiel de la République française, 13 février 1932. Débats parlementaires : chambre des députés, p. 649. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6296891m/f41.vertical
[6] L’Écho de Paris, 13 février 1932. Texte reproduit ci-dessus en Annexe 1.
[7] L’Écho de Paris, 23 février 1932.
[8] Journal officiel de la République française, 31 mars 1932. Débats parlementaires : chambre des députés, p. 2035. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6236906z/f131.vertical#
[9] RÉMOND (René).- Notre siècle (de 1918 à 1988). Fayard, 1988, 1012 p. [ p. 120] (Histoire de France sous la dir. de Jean Favier, 6).
[10] Salle définitivement fermée en 1940 et démolie après guerre. Son emplacement correspond à l'actuel Centre Jean Sarrailh (CROUS), avenue Georges Bernanos, Paris, Ve.
[11] Le discours est publié in extenso dans les principaux quotidiens du 7 avril (L’Écho de Paris, Le Figaro, Le Journal, Le Petit Parisien, Ouest Éclair) ou du 8 (La Croix, Le Temps). De larges extraits dans L'Excelsior, Le Matin.
[12] Cf. note 9.
[13] Le Populaire, 14, 20, 24, 25, 26, 28 avril ; 6 mai. Concernant l'interdiction, Le Populaire mentionne un décret de mars 1928, puis un arrêté, et enfin une circulaire du 12 mars 1928. Je n'ai pas vérifié la nature du texte incriminé, mais il semble bien que ce soit une circulaire (Cf. Annexe 2).
[14] Routier affectionne cet adage qu'il utilise à nouveau le 28 avril 1934 au sujet de la note Barthou à la Conférence du Désarmement et le 18 octobre 1935 pour le Cinéma qu'il juge attaqué par le ministre Roustan. J'y reviendrai.
[15]  Le Cri de Paris, 1925, 17 février 1934, p. 7.
[16] Sur cette position, j'ai consulté BERSTEIN (Serge).- Histoire du Parti Radical. Tome 2. Crise du radicalisme (1926-1939). Paris : Presses de la fondation nationale des Sciences politiques, 1982, 666 p. [p. 191 ss]. Exposé commode dans BERSTEIN (Serge). Les radicaux, dans : BECKER (Jean-Jacques), CANDAR (Gilles). Histoire des gauches en France, vol. 2, Paris : La découverte, 2004, p. 9-26.
[17] Les résultats et les commentaires sont tirés de BERSTEIN (Serge). La France des années 30. Paris : Armand Colin, 1995, 186 p. [p. 57-58]. Voir aussi RÉMOND (René).- La droite en France de la première Restauration à la Ve République. Paris : Aubier, 1963, 414 p. [p. 206]
[18] FAVREAU (Bertrand).- Georges Mandel ou la passion de la République. Paris :Fayard, 1996, 568 p. [p. 33, 236].


Annexes

1- La réforme électorale de Mandel



L’Écho de Paris 13 février 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

[le dessin de Sennep représente Mandel]

2- L'utilisation de la T.S.F.


 Le Journal 9 avril 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France





  Le Populaire 6 mai 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

3- Le dilemme des radicaux vu par J. Sennep et H.-P. Gassier



 Daladier et Herriot lançant des invitations ; François Albert en chat.
 J. Sennep, L’Écho de Paris 14 mai 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Édouard Herriot et Léon Blum
  J. Sennep, L’Écho de Paris 21 mai 1932
 gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



 Ou Allons-Nous ?
- Vers la concentration ? [Louis Marin ; Tardieu, Herriot, Painlevé ; Blum]
- Le cartel ? [Herriot et Blum fumant la pipe de Herriot]
- Le soutien ? [Blum poussant Herriot, sous le regard de Tardieu et Reynaud]
- Je demande à réfléchir [Herriot]
H.P. Gassier, Le Journal 18 mai 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


 Le pacte - Signe ! [trois diables (de droite à gauche : Blum, Renaudel, et peut-être J.-B. Sèverac secrétaire adjoint de la SFIO) présentent des conditions de participation à l'ange Herriot.
Aux Champs-Élysées -  Seigneur, protégez-moi ! [Herriot et Albert Lebrun, nouveau président de la République]
Le retour aux Enfers - Vade, retro Satanas
H.P. Gassier, Le Journal 28 mai 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Les Grandes compétitions - Une pipe bien disputée [de g. à dr. : Fernand Bouisson, président de la Chambre des députés tenant la cloche de l'Assemblée ; Flandin, Reynaud, Tardieu, Herriot à cheval sur sa pipe ; Blum, Renaudel , SFIO non identifié]
 H.P. Gassier, Le Journal 9 juin 1932
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France













vendredi 21 avril 2017

Élection présidentielle (1939)


Circonstances et cadre

     Le choix du dessin de Jean Routier publié aujourd'hui est bien sûr guidé par l'actualité électorale. Il invite à jeter un regard sur la présidentielle de 1939, il y a 78 ans. Les différences sont notables puisque le cadre est celui de la IIIe République :
     - un président arbitre plus que chef d’État ;    
      - un corps électoral restreint (910 votants) ;
     - des candidatures tardives ;
     - ni programme, ni débat.
     En théorie, les pouvoirs d'un président de la IIIe République, définis par les lois constitutionnelles de 1875, ne sont pas minces : élu pour 7 ans, il nomme les ministres, a l'initiative des lois, promulgue les lois et en assure l'exécution, négocie et ratifie les traités, dispose de la force armée, nomme à tous les emplois civils et militaires, peut dissoudre la Chambre des députés. Mais ces pouvoirs sont verrouillés : chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre ; la dissolution se fait sur avis conforme du Sénat ;  la promulgation ne peut être refusée sauf à demander une nouvelle délibération ; les ministres sont solidairement responsables devant les chambres.  Dans la pratique, la crise de mai 1877 (une dissolution ratée), en discréditant le recours à ce droit, a affaibli le pouvoir présidentiel. Surtout, naît à cette occasion une fonction qui n'était pas prévue par les lois constitutionnelles de 1875, celle de Président du Conseil des Ministres, véritable chef du gouvernement. Au total, le seul réel pouvoir du président de la République réside dans le choix du président du Conseil, qu'il ne peut toutefois révoquer [1].

 Le dessin

     La couverture du Cri de Paris du 30 décembre 1938, intitulée "1939 - La course au Fauteuil" évoque le prochain remplacement d'Albert Lebrun, président de la République qui avait été élu le 10 mai 1932, après l'assassinat de Paul Doumer. Le terme légal de son mandat est donc le 10 mai 1939. Selon la constitution de 1875, Un mois avant le terme légal des pouvoirs du Président de la République, les chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau Président. Mais, fin décembre 1938,  moins de quatre mois avant l’élection, la liste des candidats n'est pas connue. La presse en est réduite à des supputations, ce que reflète le dessin de Jean Routier.
     On y voit Albert Lebrun s'empressant de quitter son fauteuil présidentiel, marqué du sigle R F (République Française), sur lequel il a laissé la grand-croix de l'ordre de la légion d'honneur et un sceptre (?) surmonté du bonnet phrygien,  tandis que Jules Jeanneney, président du Sénat, sifflet en bouche, s'apprête à donner le départ de la compétition à cinq coureurs.

Le cri de Paris n° 2179 - vendredi 30 décembre 1938 
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Premier enseignement du dessin : Albert Lebrun ne se représenterait pas. Un nouveau-bail, Dieu m'en garde ! aurait-il dit à un interlocuteur, selon Le Cri de Paris [2]. Son septennat avait été agité : Pauvre Monsieur Lebrun ! La fin de son septennat approche. Il touche à la délivrance de sa terrible magistrature. Il a tout vu : violation des traités, début de guerre civile, menace de guerre étrangère, abaissement de la moralité d’État. Pourvu qu'il ne voie pas plus étonnant encore ! [3]. La très complète biographie rédigée par Eric Freysselinard, son arrière petit-fils, confirme cette intention première [4]. D'une part, A. Lebrun ne voulait pas déroger à la règle - non écrite - selon laquelle le renouvellement du mandat présidentiel était contraire à l'esprit de la constitution ; d'autre part, âgé de 67,5 ans, il aspirait à une vie moins agitée. C'est aussi l'âge (75 ans) qui a fait reculer Jules Jeanneney (1864-1957), président du Sénat depuis 1932.


Dessin et photographie
Détails du dessin de Jean Routier (cl. de l'auteur)
Détail du portrait officiel de Lebrun (Agence Meurisse, 94345A)
 et d'une photographie de presse de Jeanneney (Agence Mondial, 2223) 
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


     Deuxième point : quels sont les candidats à la succession ? Selon Le Cri de Paris du 30 décembre, Une seule candidature est semi-officielle, celle de M. Édouard Herriot, président de la Chambre. L'hebdomadaire ajoute : Qui opposera-t-on à M. Herriot ? M. Henri Roy, M. Henry Bérenger, M. Queuille ou M. Piétri ?

      Ce sont eux que Jean Routier a croqués. J'en ai recherché le modèle possible.

Dessin et photographie
Détail du dessin de Jean Routier (cl. de l'auteur)
Détails de photographies de presse (Agence Meurisse)
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


      Voici un bref rappel de leur carrière avant 1940.

- Édouard Herriot (1872-1957) :  maire de Lyon de 1905 à 1940 ; président du Conseil à trois reprises (1924-25 ; 1926 ; 1932) ; président de la Chambre des députés (1936-1940). Radical.

- François Piétri (1882-1966) : député de Corse de 1924 à 1940 ; ministre de 13 gouvernements entre 1929 et 1936. Républicain de gauche.

- Henry Bérenger (1867-1952) : sénateur de Guadeloupe de 1912 à 1940 ; ambassadeur à Washington en 1926-28. Radical socialiste ; Gauche démocratique.

- Henri Queuille (1884-1970) : député de Corrèze de 1914 à 1935 ; sénateur de Corrèze de 1935 à 1941 ; ministre de 19 gouvernements entre 1920 et 1940, notamment à l'Agriculture. Radical socialiste.

- Henri Roy (1873- 1950) : député du Loiret de 1906 à 1919 ; sénateur du Loiret de 1920 à 1940 ; une fois ministre. Radical ; Gauche démocratique.

     Quant au lorrain Albert Lebrun (1871-1950), ingénieur du corps des Mines, sa carrière construite en Meurthe-et-Moselle (conseiller général dès 1898, puis président du Conseil général de 1906 à 1932) l'a conduit à être député (1902-1919), ministre à plusieurs reprises, sénateur (1920-32), président du Sénat (1931-32). Alliance démocratique (Centre droit).

L'élection

     La situation se décante en mars 1939, mais lentement. Le conseil des ministres du 10 mars a fixé l’élection présidentielle au 5 avril. Comme rappelé plus haut, elle est le fait des parlementaires - députés et sénateurs - réunis en Assemblée nationale à Versailles. La lecture de la presse de fin mars reflète l'incertitude régnante. 
     Par exemple, Le Journal du 29 mars titre : A huit jours de l'Assemblée nationale. Qui sera élu président de la République ? L'article rappelle les instances dont Albert Lebrun est l'objet et pèse les chances de chacun, sachant que ni M. Jeanneney, ni M. Herriot, ni M. Daladier, ne brigueront les suffrages. Édouard Daladier, président du Conseil, était pourtant un candidat possible, mais ses amis le pressaient de rester à Matignon. Restent donc Bouisson, Piétri, Queuille, Roy et Justin Godart, sénateur radical socialiste du Rhône. La seule candidature sérieuse est celle de Fernand Bouisson 1874-1959), député des Bouches-du-Rhône depuis 1909, éphémère président du Conseil (6 jours en juin 1935) et ancien président de la Chambre des députés (1927-1936),  socialiste mais ami de Pétain et soutenu par Laval, ce qui décidera Daladier à soutenir Lebrun. 
     Puis les choses se précipitent le jeudi 30 avril, avec les démarches successives des présidents des deux Chambres - Jeanneney par mandat du Sénat et Herriot à titre personnel - qui demandent au président d’accepter le renouvellement de son mandat. Ces sollicitation officielles, s'ajoutant à bien d'autres parmi lesquelles les souhaits des souverains anglais à l'occasion d'une visite présidentielle à Londres le 21 mars, achèvent de convaincre Albert Lebrun d'accepter la perspective d'un second mandat [5]. Une dépêche d'Havas, le lundi 3 avril, annonce que M. Lebrun "accepte de laisser poser sa candidature", ce qui entraîne le retrait des candidatures de Roy, Queuille, Piétri et Bouisson.

Ce Soir, 4 avril 1939
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

     Le mercredi 5 avril, à Versailles, Lebrun est réélu au premier tour de scrutin par 506 voix contre 151 à Albert Bedouce (SFIO) et 74 à Marcel Cachin (communiste), candidats de principe ; 173 voix se sont dispersées sur des non-candidats [6].
     Lebrun qui espérait une "élection consensuelle" aurait été déçu par ce résultat (55,6 % des suffrages exprimés et une baisse par rapport à l'élection de 1932 où il avait recueilli 633 voix). Le nouveau septennat débute le 11 mai.
     Routier n'eut pas l'occasion de faire le dessin de couverture du numéro suivant cette réélection qui fut confié à l'illustrateur Plus, mais Le Cri de Paris réutilisa en pages intérieures une caricature, déjà publiée dans un numéro précédent [7].


Le cri de Paris n° 2193 - vendredi 7 avril 1939  : dessin non signé de Jean Routier
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)


 Le cri de Paris n° 2192 - vendredi 31 mars 1939  : dessin signé de Jean Routier
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

      Jean Routier avait aussi représenté à plusieurs reprises le Président dans les vignettes séparant les échos du journal. En voici quatre exemples entre 1934 et 1939, illustrant discours, visites officielles, ou plus simplement goût de l'équitation.


     Le résultat de l'élection est en général favorablement accueilli par les quotidiens parisiens : "...un fait incontestablement heureux" (Le Petit Parisien) ; "La France continue..." (Le Matin) ; " Il était souhaitable que M. Lebrun se succédât à lui-même" (Le Petit Journal) ; "...la solution la plus opportune... le bon sens national..." (Le Figaro) ; "...l’œuvre commencée continue..." (Le Temps). Le Journal est plus nuancé : "Ce résultat, certes honorable, eût pu, sans aucun doute, être plus net. (...) Si l'élection du chef de l’État, aux heures graves que nous traversons, alors que la paix est menacée de toutes parts n'a pas été l'occasion de la manifestation d'unanimité nationale qu'on devait espérer, elle apporte néanmoins un réconfort certain". Le Journal souligne notamment la confusion créée par "la détermination un peu tardive du président" et l’attitude des partis d'extrême gauche qui auraient voulu en faire une élection politique. 

Le Journal, 6 avril 1939
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

     A gauche, le ton est différent. L'Oeuvre (radical socialiste) titre : "Revenons aux affaires sérieuses". Léon Blum signe un éditorial sévère dans Le Populaire : "Eh bien ! Pour un joli travail, c'est un joli travail. (...) Il n'a pas été porté par un grand mouvement spontané ; il a été charrié par une suite de pressions et d'intrigues". Enfin, L'Humanité y voit "...une aventure sans gloire et sans grandeur (...) un épisode peu brillant."

Le Populaire, 6 avril 1939
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

     Un dessin de Cabrol et un autre de Gassier [8] commentent cette réélection.

L'Humanité, 7 avril 1939. Dessin de Cabrol
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France




Lebrun succède à Lebrun, et Daladier, président du Conseil reste en fonction
Le Petit Parisien, 10 mai 1939. Dessin de Gassier
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



     Le second mandat d'Albert Lebrun sera abrégé suite au vote des pleins pouvoirs constituants du 10 juillet 1940 au maréchal Pétain qui mettra fin à la IIIe République. Sur cette période qui dépasse le cadre de ce billet, on lira avec profit la biographie écrite par E. Freysselinard qui donne un éclairage nuancé sur la position - tout à fait méconnue - du Président Lebrun, isolé et conduit, par légalisme, à promulguer la loi constitutionnelle faisant disparaître sa fonction.

 

Notes

[1]  Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics. Les textes constitutionnels sont consultables ici : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/constitution-de-1875-iiie-republique.5108.html
[2] Le Cri de Paris, n° 2173, 18 novembre 1938, p. 9.
[3] Le Cri de Paris, n° 2170, 28 octobre 1938, p. 6.
[4] FREYSSELINARD (Éric). - Albert Lebrun. Le dernier Président de la IIIe République. Paris : Belin, 2013, 587 p., 1 cahier de XVI pl. h.-t. [p. 443-448].
[5] Selon Éric Freysselinard, c'est une candidature de rassemblement, susceptible d'assurer la stabilité et la continuité dans une France divisée et une Europe troublée (p. 444). Le message lu devant les Chambres le 11 mai reprendra les mêmes thèmes : "unité française", "France calme, résolue" ; "souci de la stabilité et de la continuité", "sauvegarder ces règles du droit international" (p. 447-448).
[6] Herriot : 53 ; Godart : 50 ; Bouisson : 16 ; Piétri : 10  ; divers : 44. Tous les quotidiens datés du 6 avril (7 avril pour les journaux du soir) relatent avec plus ou moins de détails la journée de Versailles. Ils sont en ligne sur Gallica. Les journaux de province ne sont pas en reste : par exemple, un récit très détaillé dans Cherbourg-Eclair du 6 avril 1939 : http://www.normannia.info/npdf/50CHERBOURGE/1939/04/06/50CHERBOURGE_1939-04-06_P_0001.pdf
[7] Jean Routier tenait la couverture du Cri de Paris depuis le 6 décembre 1931. En 1939, sa participation devient épisodique après le 3 mars, pour des raisons qui m'échappent, et cesse avec le n° 2213 du 27 août.
[8] Le dessin de Gassier a été reproduit dans l'ouvrage de E. Freysselinard signalé ci-dessus (pl. XIII h.-t.), mais sans référence, l'éditeur ayant supprimé toutes les notes. Grâce à Gallica, il n'a pas été trop difficile d'en retrouver l'origine.

dimanche 5 mars 2017

Le septième Château du Diable (1945) -3

Suite et fin de ce récit pour enfants.


  Ce n'était qu'un rêve !





Le septième château du diable   (exemplaire de la Bibliothèque nationale de France.) - Cl. de l'A. 

Commentaires


L'édition
      Peu d'informations sur l'éditeur J. et R. Sennac qui semble être d'abord une imprimerie située au 54, rue du Faubourg Montmartre (Paris 9e), travaillant essentiellement dans le domaine scientifique et technique (chimie, énergie, géologie, hydraulique, médecine), entre 1943 et 1968, imprimant aussi pour le CNRS ou Gauthier-Villars, si l'on en juge par les 492 titres moissonnés dans  le catalogue général de la Bibliothèque nationale.

     La collection "Publi-Paris" est tout aussi peu renseignée avec seulement trois titres recensés qui ont en commun la mention de l'Imprimerie de Sceaux mais sans que l'on sache si J. et R. Sennac sont les éditeurs des trois ouvrages :

-  Jean Routier. Le Septième château du diable. Texte et dessins de Jean Routier. Paris, J. et R. Sennac ; (Sceaux, Impr. de Sceaux), 1945. In-8° (220 x 210), [15 p.] n. p., fig., couv. ill. 15 fr.
- Alice Routier. Le Lézard d'or. Texte et dessins d'Alice Routier. Sceaux :  Impr. de Sceaux, 1945. In-8° (220 x 210), [15 p.] n. p., fig., couv. ill. 15 fr.
 - Jean des Brosses. La vengeance des Serivano. Couverture et dessins de J. Renusson. Sceaux :  Impr. de Sceaux, 1945. In-16 (180 x 135), 64 p., fig., couv. en coul. 20 fr. 

     Collection avortée ? Il est intéressant de relever dans cette courte liste le nom d'Alice Routier (1913-2010), fille unique de Jean, qui a donc publié une brochure identique à celle de son père mais que je n'ai pu encore consulter. 
     Le prix de la brochure est de 15 francs, soit 1,88 € en utilisant le calcul du pouvoir d'achat du franc en euro 2016 par l'INSEE. Autre évaluation, celle du tarif de la lettre simple (2 francs en 1945) soit l'équivalent de 7,5 affranchissements, ce qui représenterait aujourd'hui 5,45 €.

 L'histoire
     L'intrigue est simple : un petit garçon, impressionné par l'image d'un diable bien humain vue dans un livre, rêve qu'il est enlevé par ce personnage et transporté, avec son chien Bouboule, dans un château où tous ses désirs sont satisfaits ; des salles sont remplies de jouets, il dispose d'une salle de cinéma, peut se promener à cheval, conduire un petit train, manger des "merveilles patissières". Mais à la suite d'une désobéissance - l'utilisation d'une clé d'or, interdite -, il est frappé par l'ENNUI. Il en vient à regretter son cadre quotidien, ses jouets cassés et ...ses parents.  Pénétrant à nouveau dans la chambre interdite, il déclenche une catastrophe : il est jugé par des collaborateurs du diable et condamné, s'il veut rentrer chez lui, à abandonner Bouboule, ce qu'il refuse avec énergie.  Mais tout se résout car, alors que le château s'écroule, il se réveille en constatant qu'il a fait un cauchemar.

     L'image du diable ordinaire fait penser au film de Marcel Carné Les visiteurs du soir (1942) avec son château tiré des Très Riches Heures du duc de Berry. Quant au déroulé et au dénouement (un rêve qui permet tous les voyages et tous les jeux ; le réveil d'une sieste due à "une digestion laborieuse"), il évoque Little Nemo, bande dessinée créée par l'auteur américain Winsor McCay en 1905, et ses indigestions. Mais Antoine Sausverd nous rappelle fort opportunément, sur son site Topfferiana, que "L’onirique était un thème récurrent dans les histoires en images du XIXe siècle", et que Job avait été précurseur en fournissant à la Maison Quantin, en 1886, une planche intitulée « Un rêve agité » qui aurait pu influencer Winsor McCay [1]. Les sources d'inspiration ont donc pu être multiples.

     Mais d'où vient le titre ?  Du théâtre ? Est-il inspiré du spectacle "Les sept châteaux du diable", une féérie en 3 actes et 18 tableaux d'Adolphe Dennery et Charles Clairville [2], jouée en 1844 et reprise en 1876 ? Dans cette pièce, Satan s'intéresse à Pornic et à deux jeunes filles de pêcheur qui avaient fait vœu, si leur père rentrait sain et sauf d'une tempête, de faire un pèlerinage ; Satan décide alors de leur faire traverser les sept châteaux du diable dont il a confié la garde aux sept péchés capitaux, afin de tenter de les perdre. Bien évidemment, il n'y parvient pas. Cet ensemble de tableaux mettant en scène l'Envie, l'Orgueil, l'Avarice, la Paresse, etc. connut un très grand succès, notamment lors de sa reprise de 1876 à 1878 au Châtelet, avec environ 450 représentations dont des matinées pour les enfants. Une autre reprise est signalée, entre décembre 1895 et avril 1896 [3]. Enfin, un film muet - féérie en 40 tableaux - en fut tiré en 1901, réalisé par Ferdinand Zecca et produit par Pathé, actuellement en ligne [4].

     Dans le récit, l'image de diable qui avait impressionné Jean-Luc était tirée d'un livre "relié, avec des gravures", dont "le titre s'offre en grosses lettres noires : L'Homme qui a vendu son âme au diable". Un tel ouvrage existe, sous un titre un peu différent et, à ma connaissance sans gravures. Un roman de Pierre-Gilles Veber (1869-1942), L'homme qui vendit son âme au diable, parut en 1918 dans La Revue de Paris, puis chez Calmann-Lévy en 1919 [5]. Il en fut tiré un film muet de Pierre Caron (1921) avec Charles Dullin, une opérette en 4 actes jouée à la Gaîté lyrique (1929), et enfin un film de Jean-Paul Paulin en 1943.

Le château
     La couverture représente le "château magnifique", "au centre d'un sombre parc à la française".

Le septième château du diable. Détail de la page de couverture (coll. part.) - Cl. de l'A.

      Les castellologues consultés n'ont pas encore identifié le modèle utilisé pour ce dessin. Selon eux, l'agencement des volumes semble bien s'appuyer sur un château existant. Les tours à mâchicoulis plus hautes que les courtines, elles-mêmes pourvues de hourdage, sont caractéristiques du XIVe siècle, tandis que le corps de logis, avec ses larges baies, son enfilade de lucarnes, ses cheminées massives orienteraient vers le XVIIe ou le début du XVIIIe siècle. A l'extrême droite, le mur pignon surmonté d'un double-bulbe pourrait orienter la recherche.  

Bouboule et autres détails
     Ce petit récit contient des détails matériels intéressants sur l'époque de la fin de la guerre, que ce soit une liste de jouets, par exemple les "carabines Euréka", marque célèbre de jouets, active entre 1890 et 1972, qui fabriquait notamment des voitures à pédales dans son usine de l'Eure [6], ou la liste des gâteaux. On notera aussi l'autorail représenté en pleine page - dont les spécialistes nous diront le type - et l'appellation de Wattman  qui est le nom donné au conducteur d'un tramway [7].

     Un mot sur le chien : Bouboule [8], un bouledogue ; Jean Routier avait déjà utilisé ce nom dans le défet mystérieux de Noël 1925, "Riri et Bouboule" (cf. billet du 24 décembre 2015). En attendant une galerie des chiens de Jean Routier, voici quelques images de Bouboule scannées sur un meilleur exemplaire de la brochure et deux dessins tirés d'un carnet de croquis (vers 1929) de Jean Routier récemment consulté.





                                 Le septième château du diable. Détails  (coll. part.) - Cl. de l'A.                                                                                                                                             




Jean Routier - Carnet de croquis (coll. A.Z.) - Cl. de l'A.




Notes

[1] http://www.topfferiana.fr/2008/11/le-petit-lucien-au-pays-des-reves/
Voir aussi http://www.topfferiana.fr/2015/01/ninette-patapon-un-little-nemo-a-la-francaise/
On peut enfin consulter l'article rêve rédigé par Thierry Groensteen dans le dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, en septembre 2013 (http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article616)
[2] Texte consultable en ligne : https://archive.org/details/lesseptchteauxdu00denn
[3] Jean Routier, né en mars 1884, aurait donc pu y assister.
[4] https://www.youtube.com/watch?v=739Q9kHNXUo - Voir le détail des tableaux sur http://grimh.org (groupe de réflexion sur l'image dans le monde hispanique). Le film a été projeté au Salon des Abonnés du Figaro, le 7 janvier 1904 (Le Figaro, 7 janvier 1904).
[5] Treizième édition en 1924. Plusieurs comptes rendus donnent à cet ouvrage le titre L'Homme qui a vendu son âme au diable, par ex. Les Potins de Paris du 31 juillet 1919, La Rampe du 1er novembre 1925, Le Journal du 29 mars 1926.
[6] http://www.voitureapedales.com/category/fusils-carabines-pistolets-tirs-a-fleches-a-plombs-eureka/
[7] C'était d'abord le nom donné au premier tramway électrique français inauguré à Clermont-Ferrand en janvier 1890.
[8] "le père Bouboule", "le bon Bouboule", "son ami Bouboule", "le brave Bouboule".