dimanche 29 septembre 2013

Rentrée(s) en 1933

     Pour ménager une transition avec mon précédent billet,  la couverture du Cri de Paris du 30 septembre 1933 fera parfaitement l'affaire.
    
      Le Cri de Paris, hebdomadaire d'échos politiques et mondains, paraissant le dimanche (puis le samedi à partir d'avril 1933), commente sur un mode souvent ironique, voire désabusé, l'actualité politique, intérieure naturellement, mais aussi européenne dans ces années de conférences sur le désarmement et d'installation de régimes autoritaires. Il faudra y revenir lorsque le dépouillement auquel je me livre pour les années 1931-1939 sera achevé et que je disposerai d'un peu de recul. 
     Fondé en janvier 1897, il passe pour le plus  ancien hebdomadaire satirique français. Il se reconnait à son large bandeau rouge qui accueille un titrage noir et surmonte un dessin bichrome rouge et noir. Il inspirera (format et style de couverture) l'hedomadaire "Aux Écoutes" (1918-1940). Pourquoi un dépouillement des années 1931-39 ? Parce que Jean Routier est aux commandes du dessin de couverture. Il y prend la succession de George-Edward (1866-1952), à partir du n° 1810 (6 décembre 1931) et y demeure - avec quelques exceptions que je ne mesure pas encore - jusqu'en 1939 ou 1940, lorsque, selon la formule du Dico Solo, le Cri de Paris devient aphone.

Rentrée...

    des mauvais garçons


 Le cri de Paris n° 1905 - 30 septembre 1933
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Ce dessin - ainsi que l'un des suivants - n’est pas thématiquement  représentatif des couvertures hebdomadaires de Jean Routier dont les sujets sont en général politiques. En s'en tenant à la seule année 1933, sur 53 numéros parus, la répartition est la suivante :
     Politique étrangère : 27 couvertures dont 11 mettent en scène Hitler
     Politique intérieure : 19 couvertures
     Sujets de société : 7 couvertures


 Rentrée...

    des classes

Le cri de Paris n° 1853 - 02 octobre 1932
source :  Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)


Rentrée...

    des politiques

 

 Le cri de Paris n° 1897 - 05 août 1933
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Même pendant les vacances, les politiques pensent à la Rentrée... Le Président du Conseil, Édouard Daladier (veste sous le bras) est renfrogné. Georges Bonnet, son ministre des Finances, fait preuve d’invention  fiscale.

 Le cri de Paris n° 1907 - 14 octobre 1933
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

     Cabu déclarait en 2005 n'être pas " de ceux qui disent qu'un bon dessin vaut un article. La caricature, c'est un fusil à un coup. Le lecteur nous accorde trois secondes, il faut être très lisible." [1]. A ce caractère d'instantané du dessin de presse, s'ajoute son caractère éphémère. Parce qu'elle fait référence à l'actualité, cette image n'est d'emblée intelligible que par des contemporains, souvent déjà informés [2]. Ainsi, la compréhension de la couverture du Cri de Paris du 14 octobre 1933 a nécessité quelques recherches pour retrouver son contexte.
  
L'image évoque la rentrée gouvernementale. Elle se passe sans doute à l’Élysée où eurent lieu deux conseils des ministres, l'un le jeudi 12 octobre consacré aux problèmes extérieurs, le second le samedi 14 pour arrêter le texte du projet de redressement financier et économique. Des huissiers reconnaissables à leur chaîne font une haie d'honneur au gouvernement. Édouard Daladier, président du Conseil depuis le 31 janvier 1933, muni d'un dossier "Assainissement", emmène ses ministres parmi lesquels on identifie Georges Bonnet, ministre des Finances (dossier Impôts) ; François Albert, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale (dossier Travail), appelé "le ministricule" à cause de sa petite taille ; Lucien Lamoureux, ministre du Budget (dossier Budget) ; je n'ai pas identifié le quatrième, chauve avec de gros sourcils (Albert Sarrault ?). Il s'agit d'un gouvernement composé essentiellement de radicaux.

Le texte, pour être apprécié, doit être éclairé par la presse de l'époque. A quoi fait allusion cette cure de Vichy ? Le parti républicain radical et radical socialiste vient de tenir dans cette ville son 30e congrès, du 5 au 8 octobre 1933. Mais son Président, Édouard Herriot, n'a pu y assister. Il souffre en effet d'un gros calcul rénal et est "cloué à Lyon sur son lit de souffrance" [3]. Il est reconduit à la tête du parti par acclamations ! [4] La presse qui rend compte du déroulement du congrès fait des articles sur la santé de Herriot et publie pendant plusieurs jours les rumeurs et les communiqués médicaux sur l'évolution de la maladie. 
La légende joue donc sur les vertus de l'eau de Vichy qui favoriserait l'alcalinisation des urines et la dissolution de certains calculs et sur les problèmes budgétaires du pays évoqués au Congrès (des "calculs ...budgétaires").

 Daladier à son bureau -  Agence Mondial - 1933
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Georges Bonnet - Agence Mondial - 1932
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Lucien Lamoureux - Agence Meurisse - 1929
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


François Albert - Agence Mondial - 1933
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

     Cette rentrée aura été de courte durée puisque le gouvernement Daladier est renversé le 24 octobre 1933. Son projet d'équilibre budgétaire prévoyait un plan d'outillage national pour lutter contre le chômage, des recettes nouvelles et des économies dont une baisse des salaires des fonctionnaires progressive (de 3 à 6 %)pour résorber le déficit. Le gouvernement engagea la confiance sur l'article 37 (baisse des salaires), ce qui lui fut refusé par 329 voix contre 241 et 31 abstentions. Il remit donc sa démission.


Rentrée...

    des chasseurs


 Le cri de Paris n° 1902 - 09 septembre 1933
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

 

      La mise en place du régime nazi, depuis l'accession d'Hitler à la Chancellerie le 30 janvier, est un des grands thèmes de 1933. Jean Routier y consacre de nombreuses couvertures et met en scène 12 fois Hitler  ! Il évoque aussi ce thème en soulignant le trouble que suscite en France la montée du fascisme et le développement des ligues. Les chasseurs font ici les frais de l'humour gavroche. Regardez bien aussi les chiens que Jean Routier se plaît à dessiner - mais il n'est pas le seul : je pense à Pierre Falké (1884-1947) dont les chasseurs, en 1913, avaient aussi des instincts guerriers. En voici un exemple :



 Pierre Falké -Le Rire n° 565, 29 novembre 1913
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

 

      Il faudra songer à composer le chenil de Jean Routier. Une vignette du Cri de Paris en fournit un premier modèle, car si cet hebdomadaire est peu illustré, chacune de ses pages est agrémenté de petites vignettes que l'on qualifiera de thématiques, car souvent répétées d'un numéro à l'autre. Jean Routier y excelle.

Vignette aux deux chiens - Le Cri de Paris 1932 (ici, n° 1842, 17 juillet 1932)
source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)



Annexes 

     En marge de Jean Routier, voici quelques autres illustrations de la crise politique d'octobre 1933 publiées dans la presse de l'époque.

 
   Henri-Paul Gassier -Le Petit Parisien , 17 octobre 1933
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


E. Herriot, G. Bonnet et L. Lamoureux, masqués, viennent déposer le projet de budget à la chambre. Dans l'assistance, on reconnaît Léon Blum (Parti socialiste) et André Tardieu (au fume-cigarette ; Républicains du centre, c'est-à-dire centre-droit). 

Henri-Paul Gassier -Le Petit Parisien , 17 octobre 1933
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



Pierre Dukercy -Le Petit Journal , 25octobre 1933
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France




Notes   

[1] cité par Tillier (Bertrand).- A la charge ! La caricature en France de 1789 à 2000. Paris : Les éditions de l'Amateur, 2005, p. 207.
[2] Tillier 2005 développe ce point p. 83 ss.
[3] Le Petit Parisien du 06 octobre 1933.
[4] "Les troupes radicales n'aiment pas M. Herriot, elles l'adorent." (Ibid.)